samedi 11 octobre 2014

Une bactérie intestinale impliquée dans les troubles alimentaires.

Les troubles alimentaires pourraient être en partie causés par certaines bactéries de la flore intestinale, qui produisent une protéine influant sur l'appétit.

Anorexie, boulimie, hyperphagie (une prise excessive de nourriture, mais sans vomissement comme dans la boulimie)… Les troubles alimentaires constituent une véritable épidémie, qui touche 5 à 10 % de la population mondiale. Qu’est-ce qui dérègle à ce point notre comportement alimentaire ? On a mis en évidence des influences génétiques dans l’obésité, mais aussi un rôle de l’environnement, en particulier des perturbateurs endocriniens et de la flore intestinale. C’est sur cette dernière que s’est penchée l’équipe de Sergueï Fetissov, de l’Inserm (UMR 1073 Inserm/Université de Rouen). Elle a mis au jour l'influence de certaines bactéries intestinales sur la sensation de faim.
Les biologistes ont montré que les colibacilles (Escherichia coli) de la flore intestinale produisent une protéine nommée ClpB, dont la structure est très voisine de celle de la mélanotropine, une hormone impliquée dans la satiété. En présence de la protéine ClpB, le système immunitaire produit des anticorps pour la neutraliser, mais ces derniers se lient aussi à la mélanotropine et modifient son effet sur la satiété. Les biologistes ont ainsi constaté que le comportement alimentaire de souris changeait lorsqu'ils introduisaient des bactéries E. coli dans leur intestin. En revanche, des bactéries mutées qui ne fabriquaient pas la protéine ClpB n’avaient pas cet effet.
Les anticorps n'empêchent pas la mélanotropine d'agir, mais ils modifient ses interactions avec son récepteur cellulaire. Cela pourrait conduire tantôt à l'atténuation de la sensation de faim, tantôt à son augmentation. Les mécanismes, complexes, sont à l’étude. La variabilité de l’effet selon les individus résulte aussi de plusieurs autres facteurs : la quantité de colibacilles dans l’intestin, la présence éventuelle d’autres bactéries productrices de ClpB à la suite d'une infection, la tolérance du système immunitaire à toutes ces bactéries (elle-même fonction de la composition du microbiote pendant l’enfance)…
Pour confirmer l’existence de ce mécanisme chez l’homme, les biologistes ont effectué des prélèvements sanguins chez des patients souffrant de troubles alimentaires. Ces patients présentaient un taux anormalement élevé d’anticorps dirigés contre la protéine ClpB, ce qui suggère que ces anticorps sont bien en cause dans la perturbation de la sensation de faim. En outre, la concentration d’anticorps variait de conserve avec la gravité des symptômes cliniques, identifiés grâce à un questionnaire standardisé.
S. Fetissov et Pierre Déchelotte, l’un des auteurs de l’étude, cherchent maintenant à développer un test sanguin pour détecter les taux anormaux de ClpB, ainsi que des méthodes pour l’empêcher de perturber la prise alimentaire. Selon eux, en effet, « il serait possible de neutraliser cette protéine bactérienne par des anticorps spécifiques sans affecter l’hormone de la satiété. »

L'auteur

Guillaume Jacquemont est journaliste àPour la Science.

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