samedi 18 octobre 2014

Le mystère des pierres mouvantes élucidé.

Dans la Vallée de la Mort, aux États-Unis, de lourdes pierres se déplacent toutes seules en laissant des traces dans le sol. Le vent et la glace hivernale seraient en cause.

Racetrack Playa est un lac asséché une grande partie de l’année situé dans la Vallée de la Mort, en Californie. Des pierres, pesant parfois plus de dix kilogrammes, s'y déplacent en laissant derrière elles une trace dans la boue. Le phénomène sucite l'intérêt depuis la publication de photographies dans le magazine Life en 1952, mais il restait inexpliqué, malgré de nombreuses hypothèses proposées. Richard Norris, de l’Institut d’océanographie Scripps, et ses collègues proposent aujoud'hui une nougelle explication. Après avoir suivi les pierres mouvantes avec des GPS et d'autres instruments, ils ont mis en évidence ler rôle joué par le vent et la glace.
Ce phénomène ne semble pas très mystérieux, pourtant il a résisté pendant presque 60 ans aux tentatives d'explication. Il faut dire que les conditions climatiques régnant dans la vallée de la Mort sont peu propice aux études de terrain ! La première hypothèse, avancée dès 1948, faisait intervenir des rafales de vent ou des tourbillons. Mais cela n’explique pas pourquoi ce phénomène ne se manifeste pas dans d’autres régions exposées à des vents violents. Certains ont imaginé des facteurs qui réduiraient les frottement des pierres. D’autres ont proposé que ces rochers étaient pris et entrainés par de la glace. Les géologues ont suivi la trajectoire d’une trentaine de pierres dans les années 1970, sans parvenir à valider cette hypothèse.
Les recherches se sont poursuivies durant les années 1990. Si le vent et la glace semblent bien impliqués, il était encore difficile d’établir un scénario précis. Depuis 2009, des balises GPS sont installées sur certains rochers pour enregistrer leurs déplacements et des caméras numériques les suivent en timelapse (des films accélérés).
En 2011, R. Norris s’est associé avec son cousin James Norris, Ralph Lorenz, qui étudiait le site depuis 2007, et deux autres collègues. C’est en décembre 2013 qu’ils font une observation cruciale. Un mois plus tôt, des précipitations, rares dans cette région, remplissent le fond du lac asséché de quelques centimètres d’eau. Les températures hivernales font geler la surface de l’eau. Mais les chercheurs observent à plusieurs reprises, en fin de matinée, que la glace se brise en plaques de plusieurs dizaines de mètres de long et quelques millimètres d'épaisseur, flottant sur l’eau. Poussées par un vent léger, ces plaques appuient sur les pierres affleurantes et les mettent en mouvement ! Les pierres se déplacent ainsi de deux à cinq mètres par minute. La direction du vent dominant explique pourquoi les traces sont souvent parallèles ou tournent parfois toutes en même temps. En deux mois – avant l’évaporation de l’eau –, un rocher s’est ainsi déplacé de 224 mètres. Le phénomène des pierres mouvantes semble enfin éclairci !

L'auteur

Sean Bailly est journaliste à Pour la Science

jeudi 16 octobre 2014

La dépression altère durablement les fonctions cérébrales.

La répétition des épisodes dépressifs peut endommager de façon permanente certaines fonctions cognitives, comme l'attention ou l'aptitude à réaliser rapidement des tâches intellectuelles simples.

C'est un résultat loin d'être anodin qui vient d'être obtenu par le médecin Philip Gorwood (Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris) et ses collègues. Et pour cause, puisque ces chercheurs de l'INSERM viennent de démontrer que la répétition des épisodes dépressifs est susceptible d'endommager de façon permanente les fonctions du cerveau.
Plus précisément, Philip Gorwood et ses collègues ont réussi à montrer que les personnes qui ont déjà connu au moins deux épisodes dépressifs au cours de leur existence exécutent des tâches cognitives courantes beaucoup plus lentement que les personnes qui n'ont jamais connu d'épisodes dépressifs, et ce même lorsque ces épisodes dépressifs sont terminés depuis longtemps. En d'autres termes, la répétition des épisodes dépressifs est ni plus ni moins susceptible de laisser des séquelles permanentes dans les fonctions cérébrales des personnes dépressives.
Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs français ont réalisé une vaste étude auprès d'un panel de 2000 volontaires ayant connu au moins un épisode dépressif au cours de leur existence. Pour mesurer leurs capacités cognitives, les auteurs de l'étude ont évalué la rapidité des volontaires à réaliser un test simple, consistant à relier des cercles numérotés sur une feuille.
Détail important : cette évaluation a été réalisée deux fois pour chaque volontaire : une première fois durant l’épisode dépressif, puis une deuxième fois six semaines après l'épisode dépressif, lorsque les volontaires ne présentaient plus aucun symptôme dépressif.
Résultat ? Les volontaires qui n'avaient connu qu'un seul épisode dépressif dans le passé ont mis en moyenne 35 secondes pour réaliser le test. Mais pour les volontaires qui avaient déjà vécu au moins deux épisodes dépressifs, le temps mis pour réaliser le test s'est avéré beaucoup plus long : une minute et 20 secondes en moyenne, au lieu de 35 secondes. Et ce même lorsque les symptômes du dernier épisode dépressif avaient totalement disparu.
Evidemment, il est connu que les fonctions cognitives peuvent être considérablement ralenties (attention, concentration...) durant une phase dépressive. Mais la nouveauté est ici que ce ralentissement peut perdurer même après la fin de l'épisode dépressif, ce qui incite Philip Gorwood à qualifier la dépression d'évènement "neurotoxique". Ce dernier estime par ailleurs que si l'épisode dépressif n'a pas été traité à temps, ce ralentissement est susceptible de s'installer définitivement chez le patient.
Ces travaux ont été publiés dans l'édition du mois d'octobre 2014 de la revue European Neuropsychopharmacology, sous le titre "Psychomotor retardation is a scar of past depressive episodes, revealed by simple cognitive tests" .

Hommes ou femmes, qui sont les plus affectés par le stress ?

Les organismes féminins ou masculins ne seraient pas égaux devant les dommages cardiovasculaires que peuvent engendrer les situations de stress. 

STRESS. 
Que vous soyez homme ou femme, sachez-le, le stress n’aura pas le même effet sur votre cœur. C’est en tout cas ce que suggère une étude parue en cette mi-octobre dans le Journal of the American College of Cardiology.
L’équipe de chercheurs dirigée par le Dr Zainab Samad a étudié les réactions psychologiques et cardiovasculaires de l’organisme au stress. Des réactions qui ont été observées chez 56 femmes et 254 hommes pris en charge pour des problèmes de cœur.
Les 310 participants à l’étude ont été soumis à une batterie de tests propices à générer du stress : un de calcul mental, un autre de dessin en miroir et une conversation téléphonique avec un interlocuteur en colère. Un dernier test d’effort consistant à courir sur un tapis roulant complétait l’arsenal.
Durant ces exercices stressant, rythme cardiaque, tension artérielle et analyses sanguines étaient scrutés afin d’évaluer la réponse de l’organisme.
Dans cette analyse exploratoire, nous avons identifié des réponses claires, mesurables et différentes au stress mental chez les femmes et les hommes", expliquent les auteurs dans l’étude.
Notamment que les femmes présentent un risque plus important de développer une ischémie myocardique, un manque d'oxygène dans le myocarde, le muscle du cœur.
Chez les femmes, le risque de formations de caillots sanguins en partie dus au stress serait également plus important. Dernier point qui devrait être interpréter avec prudence : le stress provoquerait plus et plus facilement d'émotions négatives chez la gente féminine.
Même si d'autres recherches seront encore nécessaires pour valider ces premiers résultats, le Dr Zainab Samad estime que ces résultats devraient être pris en compte dans l'élaboration de traitements cardiovasculaires spécifiques au sexe féminin ou masculin des patients.

samedi 11 octobre 2014

Une bactérie intestinale impliquée dans les troubles alimentaires.

Les troubles alimentaires pourraient être en partie causés par certaines bactéries de la flore intestinale, qui produisent une protéine influant sur l'appétit.

Anorexie, boulimie, hyperphagie (une prise excessive de nourriture, mais sans vomissement comme dans la boulimie)… Les troubles alimentaires constituent une véritable épidémie, qui touche 5 à 10 % de la population mondiale. Qu’est-ce qui dérègle à ce point notre comportement alimentaire ? On a mis en évidence des influences génétiques dans l’obésité, mais aussi un rôle de l’environnement, en particulier des perturbateurs endocriniens et de la flore intestinale. C’est sur cette dernière que s’est penchée l’équipe de Sergueï Fetissov, de l’Inserm (UMR 1073 Inserm/Université de Rouen). Elle a mis au jour l'influence de certaines bactéries intestinales sur la sensation de faim.
Les biologistes ont montré que les colibacilles (Escherichia coli) de la flore intestinale produisent une protéine nommée ClpB, dont la structure est très voisine de celle de la mélanotropine, une hormone impliquée dans la satiété. En présence de la protéine ClpB, le système immunitaire produit des anticorps pour la neutraliser, mais ces derniers se lient aussi à la mélanotropine et modifient son effet sur la satiété. Les biologistes ont ainsi constaté que le comportement alimentaire de souris changeait lorsqu'ils introduisaient des bactéries E. coli dans leur intestin. En revanche, des bactéries mutées qui ne fabriquaient pas la protéine ClpB n’avaient pas cet effet.
Les anticorps n'empêchent pas la mélanotropine d'agir, mais ils modifient ses interactions avec son récepteur cellulaire. Cela pourrait conduire tantôt à l'atténuation de la sensation de faim, tantôt à son augmentation. Les mécanismes, complexes, sont à l’étude. La variabilité de l’effet selon les individus résulte aussi de plusieurs autres facteurs : la quantité de colibacilles dans l’intestin, la présence éventuelle d’autres bactéries productrices de ClpB à la suite d'une infection, la tolérance du système immunitaire à toutes ces bactéries (elle-même fonction de la composition du microbiote pendant l’enfance)…
Pour confirmer l’existence de ce mécanisme chez l’homme, les biologistes ont effectué des prélèvements sanguins chez des patients souffrant de troubles alimentaires. Ces patients présentaient un taux anormalement élevé d’anticorps dirigés contre la protéine ClpB, ce qui suggère que ces anticorps sont bien en cause dans la perturbation de la sensation de faim. En outre, la concentration d’anticorps variait de conserve avec la gravité des symptômes cliniques, identifiés grâce à un questionnaire standardisé.
S. Fetissov et Pierre Déchelotte, l’un des auteurs de l’étude, cherchent maintenant à développer un test sanguin pour détecter les taux anormaux de ClpB, ainsi que des méthodes pour l’empêcher de perturber la prise alimentaire. Selon eux, en effet, « il serait possible de neutraliser cette protéine bactérienne par des anticorps spécifiques sans affecter l’hormone de la satiété. »

L'auteur

Guillaume Jacquemont est journaliste àPour la Science.

Superman est-il une super-fourmi ?

Ce super-héros soulève des voitures, des immeubles... Pour expliquer sa force, ses créateurs ont comparé ses capacités à celle d'une fourmi qui aurait la même taille. L'argument est-il convaincant ou faut-il chercher ailleurs ?

La force extraordinaire de Superman est l’un de ses traits les plus connus. Sur la couverture du premier comics narrant ses aventures (Action Comics, juin 1938), il est représenté soulevant une voiture pour la projeter sur des malfaiteurs. Sa puissance musculaire n’a fait que croître au fil de ses aventures : deux ans après sa première apparition, alors que Metropolis – la ville imaginaire où se déroulent la plupart de ses actions – est ravagée par un tremblement de terre, Superman soutient un immeuble sur le point de s’effondrer, le temps que ses occupants se mettent à l’abri. Plus tard, on le verra déchirer des plaques d’acier, creuser un immense canal à mains nues ou transformer un morceau de charbon en diamant en le serrant dans son poing !
La question de l’origine de sa force se pose rapidement. Un argument sera en vogue pendant la première décennie de la carrière de Superman : « Superman est originaire d’une planète dont les habitants ont une structure physique en avance de plusieurs millions d’années sur la nôtre. À leur maturité, les êtres de sa race sont ainsi dotés d’une force extraordinaire. »
Conscient de la faiblesse de cette première explication pour un héros dont la notoriété grandissait, ses pères ont imaginé des arguments plus raffinés. Dans le numéro 58 de la revue Superman (paru en 1949), on trouve une explication plus physique : « Chacun sait que Superman est un être d’une autre...

Ces mondes glacés qui hébergeraient la vie.

Certaines planètes glacées de la science-fiction ressemblent à la Terre il y a des millions d'années, voire à des lunes glacées qui abritent peut-être des formes de vie encore inconnues.

À l'heure où l'épisode VII de la saga Star Wars est en cours de tournage, revenons sur l'épisode V,L'Empire contre-attaque(Kershner et Lucas, 1980). Au début du film, l'alliance rebelle s'est réfugiée sur la planète Hoth située dans la Bordure Extérieure. C'est à la surface glacée de cette planète hostile, sans cesse fouettée par de violents blizzards, que les Rebelles ont construit une base secrète – finalement prise d'assaut par les forces de Dark Vador.
Pour les géologues, la planète Hoth, aussi fictive soit-elle, n'est pas sans rappeler la Terre d'il y a plus de 650 millions d'années. En effet, d'après le célèbre modèle nommé snowball earth en anglais (Terre boule de neige, qu'il serait plus juste de remplacer par Terre boule de glace), la Terre aurait subi plusieurs épisodes de glaciation plus ou moins intenses il y a entre 850 et 635 millions d'années, une ère nommée Cryogénien. Si l'idée d'une glaciation globale a d'abord été avancée par le géologue australien – et grand explorateur de l'Antarctique – Douglas Mawson en 1949, le modèle « Terre boule de glace » a été largement développé et argumenté par les géologues américains Joseph Kirschvink et Paul Hoffman dans les années 1990, pour expliquer la présence de roches...

vendredi 10 octobre 2014

Les plus anciennes peintures rupestres découvertes en Asie.

Des traces de mains datant d'au moins 40 000 ans ont été découvertes dans une grotte sur l’île de Sulawesi, en Indonésie. C'est le plus ancien témoignage d'art pictural figuratif connu.

Dans l'imaginaire collectif, l'art pictural est né en Europe au Paléolithique, comme en témoignent les nombreuses grottes ornées, dont la grotte Chauvet est l'un des joyaux. L'Europe doit aujourd'hui partager cette paternité avec l'Asie. Une équipe de paléontologues australiens et indonésiens vient en effet d’établir que des dessins de mains réalisés « au pochoir » (en soufflant des pigments sur la main posée sur la paroi) découverts dans des grottes de l’île de Sulawesi, en Indonésie, datent d'au moins 40 000 ans, ce qui en fait les plus anciens dessins rupestres connus de l’humanité.
Les peintures des grottes de l’île de Sulawesi sont connues depuis plusieurs années.  Maxime Aubert, de l’Université de Wallogong en Nouvelles Galles-du-Sud, et ses collègues ont daté 14 motifs appartenant aux grottes de la formation calcaire de Maris-Pangkep, au Sud-Ouest de l’île. Pour cela, ils ont prélevé 19 dépôts de calcite, pour certains recouverts par les pigments, donc antérieurs aux dessins ; pour d'autres, postérieurs aux dessins. La datation de ces fragments de calcite par la méthode radiométrique uranium-thorium indique que ces peintures sont âgées au moins de 17 400 ans pour la plus récente, jusqu'à 39 900 ans pour la plus ancienne. Non loin du motif le plus ancien, une représentation d’un babiroussa femelle (une sorte de sanglier d'Indonésie) date de plus de 35 000 ans. Une culture artistique aurait ainsi existé dans la région de Maris-Pangkep pendant au moins 23 000 ans.
Quelles sont les conséquences de cette découverte sur l'histoire du peuplement de la planète ? Selon les scénarios en vigueur, parmi les différentes vagues d'hommes modernes qui se sont succédé, l'une, partie d'Afrique vers 80 000 ans, est arrivée en Australie vers 50 000 ans. Ces pionniers étaient des peuples tropicaux, contrairement à ceux qui ont peuplé le Nord de l’Eurasie. Cela se manifeste en particulier dans la pigmentation de la peau, héritée de ces ancêtres africains, qui est commune aux Tamouls (Inde du Sud), aux indigènes des îles Adaman, à nombre de peuples d’Asie du Sud-Est, dont les négritos d’Indonésie, aux habitants de Papouasie-Nouvelle Guinée et aux aborigènes d’Australie.
Dans le même temps, d’autres vagues de Homo sapiens progressaient vers l’Asie orientale et vers l’Europe. Vers 35 000 ans, des artistes aurignaciens réalisaient en Europe des œuvres attestant de la maîtrise d’effets de perspective, de mouvement et de volume. La plus vieille œuvre figurative de la grotte Chauvet – un rhinocéros – date de 35 000 à 38 000 ans, tandis qu'en Espagne, on trouve des œuvres non figuratives de plus 40 000 ans.
Ainsi, il y a 40 000 ans, des hommes ou des femmes pratiquaient un art pictural figuratif semblable aux deux extrémités de l’Eurasie. Tant en Ardèche (Grotte Chauvet) que sur l'île de Sulewesi, il semble que la représentation d'animaux jouait le même rôle culturel essentiel. Un rôle animiste ? Quoi qu'il en soit, il est clair que les capacités cognitives et les techniques nécessaires à l'art figuratif étaient déjà répandues chez les Homo sapiensen train de conquérir la planète, il y a plus de 40 000 ans.
Leslie Refine, Graph & Co
Sur cette paroi de la grotte Leang Timpuseng, on distingue une impression de main datant de presque 40 000 ans et la représentation d'un babiroussa femelle datant d'environ 35 000 ans. Peu visible, la ligne rouge cheminant sous l'animal semble représenter la surface du sol. Comme ceux de la grotte Chauvet, les auteurs de ces peintures ont utilisé des conventions picturales qui nous semblent naturelles.
Leslie Refine, Graph & Co
Kinez Riza
Qu'ont voulu dire ceux qui ont peint leurs mains sur cette paroi ?
Kinez Riza

Décrypter le cerveau : les outils du XXIe siècle.

Comment le cerveau produit-il nos pensées 
et nos émotions ? Pour le comprendre, les scientifiques devront disposer d'outils permettant de scruter l'activité des circuits cérébraux neurone par neurone.

Malgré un siècle de recherches actives, les scientifiques ignorent toujours ce qui se passe dans l'organe de moins d'un kilogramme et demi qui est le siège de toute activité consciente humaine. Beaucoup ont essayé de s'attaquer à ces questions en examinant les systèmes nerveux d'organismes plus simples. En fait, 15 années se sont écoulées depuis que les chercheurs ont cartographié les connexions de chacune des 302 cellules nerveuses du nématode Caenorhabditis elegans. Pour autant, le schéma de câblage de ce minuscule ver n'a pas permis de comprendre comment ces connexions donnent naissance à des comportements même rudimentaires, tels que l'alimentation et la reproduction. 

Chez l'homme, la difficulté rencontrée pour établir un lien entre anatomie et comportement est encore plus grande. Les médias font régulièrement état d'imageries cérébrales montrant que des zones particulières du cerveau s'activent lorsqu'on se sent rejeté, lorsqu'on parle une langue étrangère, etc. Ces annonces peuvent donner l'impression que les techniques actuelles fournissent de nouvelles connaissances fondamentales sur le fonctionnement du cerveau. C'est une fausse impression. 

Un exemple notable de cette illusion est une étude récente largement médiatisée, où l'on a identifié une cellule cérébrale particulière qui a émis un signal électrique en réaction à la vue du visage de l'actrice américaine Jennifer Aniston. Bien qu'ayant fait sensation, la découverte du « neurone Jennifer Aniston » ne nous avance pas beaucoup. Nous sommes toujours dans la plus totale ignorance de la façon dont les impulsions électriques de ce neurone influent sur la capacité de reconnaître le visage de Jennifer Aniston et d'établir un lien avec la série télévisée Friends où joue cette actrice. Pour que le cerveau reconnaisse l'actrice, un vaste ensemble de neurones doit probablement s'activer, neurones qui communiquent entre eux à l'aide d'un code non encore déchiffré.

Le neurone Jennifer Aniston est aussi un bon exemple de la croisée des chemins à laquelle se trouvent les neurosciences. Nous disposons de techniques permettant d'enregistrer l'activité de neurones isolés dans le cerveau humain. Mais pour progresser vraiment, les chercheurs ont besoin de nouvelles techniques qui leur permettront de sonder et de modifier l'activité électrique de milliers, voire de millions, de neurones – des techniques capables de déchiffrer ce que l'Espagnol Santiago Ramón y Cajal (1852-1934), pionnier de la neuroanatomie, appelait « les jungles impénétrables où de nombreux chercheurs se sont perdus ».


Un besoin criant 
de nouvelles techniques


Avec de telles percées méthodologiques, on pourrait, en principe, combler peu à peu les lacunes dans notre connaissance de la succession des événements qui se déroulent entre l'activation des neurones et la cognition (perception, émotion, prise de décision) et, en fin de compte, la conscience elle-même. Le déchiffrement des schémas précis de l'activité cérébrale sous-jacente à la pensée et aux divers comportements fournira également des informations essentielles sur le dysfonctionnement des circuits neuronaux dans des troubles psychiatriques et neurologiques tels que la schizophrénie, l'autisme, les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson. 

Des appels à des bonds en avant des techniques d'étude du cerveau ont commencé à être entendus en dehors des laboratoires. De fait, l'administration du président américain Barack Obama a annoncé l'année dernière le lancement d'une vaste initiative en faveur du développement de neurotechnologies innovantes, nommée BRAIN (Brain Research through Advancing Innovative Neurotechnologies, ou Recherches sur le cerveau par le développement de neurotechnologies innovantes). Cette initiative constitue, dans ce second mandat du président, l'effort le plus visible consacré à la science lourde, la « Big Science ». 

Le projet BRAIN, initialement financé à hauteur de 100 millions de dollars (74 millions d'euros) en 2014, vise à développer des techniques permettant d'enregistrer les signaux électriques et chimiques émanant de cellules cérébrales beaucoup plus nombreuses, voire de régions entières du cerveau. BRAIN vient compléter d'autres grands projets de neurosciences menés en dehors des États-Unis. Le projet Human Brain Project (Projet du cerveau humain), financé par l'Union européenne, est un effort de recherche de 1,2 milliard d'euros sur dix ans, qui vise à élaborer une simulation informatique de l'ensemble du cerveau. D'ambitieux projets ont également été lancés en Chine, au Japon et en Israël. Le consensus mondial qui pousse actuellement à investir dans la recherche sur le cerveau rappelle d'autres initiatives d'après-guerre de recherches scientifiques et technologiques concentrées sur des priorités nationales urgentes : l'énergie et l'armement nucléaires, l'exploration spatiale, l'informatique, les énergies alternatives, le séquençage de génomes. Désormais, c'est le siècle du cerveau qui s'ouvre à nous. 

Retracer comment les cellules cérébrales forgent le concept de Jennifer Aniston (ou une autre entité mentale) constitue pour le moment un obstacle insurmontable. Cela exige de passer d'une mesure effectuée sur un seul neurone à la compréhension de la façon dont une assemblée de neurones établit des interactions complexes pour créer une entité globale – ce que les scientifiques nomment une propriété émergente. 

La résistance mécanique ou l'état magnétique...

L'essentiel

- Le cerveau et son fonctionnement restent l'un des grands mystères de la science.

- De nouveaux outils, permettant d'analyser 
le fonctionnement 
de circuits formés d'une multitude de neurones, sont nécessaires pour progresser.

- Plusieurs techniques d'enregistrement ou 
de contrôle de l'activité de circuits cérébraux entiers commencent 
à voir le jour.

- Des projets de grande envergure sont dévolus 
à cet aspect, notamment l'initiative brain 
aux États-Unis.

L'auteur

Rafael YUSTE est professeur 
de sciences biologiques 
et de neurosciences 
à l'Université Columbia, 
aux États-Unis. Il codirige l'Institut de la fondation Kavli pour la science du cerveau.

George CHURCH est professeur de génétique à l'Université Harvard, aux États-Unis.